"Pour en finir avec l'art sacré"

Publié le par Compagnie Sambre

Pour en finir avec l’art sacré

(et qu’on leur tranche la tête aux hypocrites pleureurs de Vilar !)
 
Carole Thibaut 

Article écrit pour l'ouvrage collectif "Arts vivants en France : trop de compagnies?
coordonné par Philippe Henry et édité en juin 2007 à l'Espace d'un Instant.
 
 
Nombre de compagnies indépendantes, nommées commodément petites compagnies ou compagnies locales, ne sont soutenues et reconnues qu’au titre de l’animation culturelle et sociale. Leur est déniée une quelconque qualité ou existence artistique. Que ces animateurs sociaux-culturels s’autoproclament artistes et créent des spectacles en sus de leur activité principale reconnue, est toléré, tant qu’ils ne revendiquent pas une part du gâteau financier et politique de l’Excellence Artistique Française. Auquel cas, ils sont renvoyés aussitôt à leurs quartiers, zones urbaines sensibles ou zones rurales excentrées, leurs publics en difficultés et leurs ateliers. L’artiste véritable, garant de l’Excellence Artistique Française, élevé par le Prince au rang d’artiste officiel et tiré ainsi du vivier grouillant des petits indépendants locaux, ne saurait longtemps se commettre à travailler avec les populations et sur les territoires (excepté avec un public déjà acquis, répondant à peu de chose près au même profil sociologique), sous peine d’être soupçonné d’une certaine forme de médiocrité. L’Excellence ne saurait, tacitement, se commettre avec le peuple. La vieille déviance nostalgique aristocratique à la française a eu raison de la démocratisation culturelle, et il ne fait pas bon, au pays du théâtre public et de la décentralisation, mélanger artistique et populations ; création et travail avec les publics ; art, culture et social.
Artistes bouffons soumis aux vœux des Princes, cathédrales écrasantes dressées à la gloire d’un art officiel, sacralisation de l’art, culte de l’excellence, castes de publics bourgeois fermées sur elles-mêmes, mépris du populaire, condescendance missionnaire vis-à-vis du peuple ignorant, esthétiques labellisées par l’Etat…, certains ont beau jeu de clamer, en écrasant une larme hypocrite sur Vilar, l’échec de la démocratisation culturelle, balayant ainsi sans vergogne toute pensée politique de l’art, et le projet démocratique fondamental qui passe – forcément – par le partage véritable de l’art et des cultures.
 
Une femme entre dans un théâtre, timidement, comme on franchit la porte d’un édifice sacré dont on ne connaîtrait pas les rites. Elle pense que cet endroit n’est pas pour elle, mais on l’a convaincue d’essayer, une fois. On lui a même donné une invitation. On ne lui a pas expliqué ce qu’est ce spectacle qu’elle va voir, l’invitation suffit. Elle prend le risque. Elle franchit la porte. Son mari lui a dit Tu fais ta bourgeoise, tu vas au théâtre. Elle regarde les gens présents et il est évident que ces gens ne viennent pas des mêmes endroits et du même milieu qu’elle. Elle bafouille devant la caissière un brin méprisante. Elle se sent déplacée. Elle s’assoit dans la salle obscure. Elle regarde le programme et ne comprend pas grand-chose. Mais au fond, ça lui semble assez normal de ne pas comprendre grand-chose, quelqu’un comme elle. Elle ressort deux heures après. Elle n’a pas compris grand chose. Elle s’est ennuyée. Elle a été choquée par moments. Elle pense qu’elle est idiote, qu’elle n’a pas la culture et l’éducation qu’il faut. Elle pense que ce n’est pas pour elle. Elle pourrait, pour sauver la face, ricaner crânement. Mais elle se tait. Sentiment d’humiliation, de honte. Elle se tait et elle ne revient plus.
 
 
L’échec facile de la démocratisation culturelle
Il est plus facile, pour beaucoup de professionnels, de qualifier certains publics de grossiers et d’imbéciles, de déplorer leurs cerveaux définitivement abrutis par la télévision, avec force soupirs désespérés, découragés, épuisés, excédés, attristés, plutôt que d’admettre que eux n’ont pas fait, ne font pas, le nécessaire pour combattre pied à pied les inégalités de savoir, de culture, d’éducation et d’éducation artistique, pour tenter d’ouvrir les œuvres à toutes les populations ; plus facile de prétendre que cela ne sert à rien, que la démocratisation culturelle est un échec, plutôt que de reconnaître que eux ne remplissent pas la mission de service public qui leur a été confiée, qu’ils sont coupables de détournement d’argent public à d’autres fins que celles pour lesquelles il leur a été versé, coupables de ne pas remplir la tâche pour laquelle ils ont été embauchés et sont payés. On ne fait pas du théâtre public à coups de communication et de tarifs réduits, en regrettant ensuite que les dites populations ne viennent pas, malgré tous les efforts qu’on a mis en place. L’hypocrisie flirte ici avec le cynisme.
 
 
Tranchons-leur la tête…
Dans une salle de spectacle, des “jeunes”, (qu’on aura conviés en groupe et sans préparation aucune à un spectacle, pour donner le change - dont personne n’est dupe - aux financeurs dans les bilans d’activité de fin d’année), bref ces fameux “jeunes de banlieue” donc, font du bruit au cours de la représentation.
Les abonnés s’exclament, scandalisés :
Ils ne respectent rien.
Le metteur en scène s’exclame, scandalisé :
Ils ne laissent pas les artistes s’exprimer.
Le directeur : 
Nous ne sommes pas à la Star Academy, nous sommes dans un Théâtre National.
L’auteur :
Ils ne savent rien apprécier, ils gâchent tout.
L’administrateur :
Avec tout ce qu’on fait pour eux, les tarifs réduits et autres facilités.
Et tous en chœur de reprendre, à l’heure du bilan d’activité de fin d’année devant les tutelles compréhensives :
Et pourtant nous avons essayé, la preuve, et ça a été l’enfer… nous sommes désespérés, découragés, attristés, démoralisés… pauvre Théâtre Public, pauvre Vilar, pauvre de nous !
Oui, tranchons-leur la tête aux hypocrites pleureurs de Vilar…
 
 
De l’ignorance et de l’imbécillité
L’ignorance n’a rien à voir avec l’imbécillité. La question est : comment faire reculer l’ignorance, et non : comment produire de l’imbécillité pour se mettre à la portée des imbéciles. Réglons ceci une bonne fois : chercher à mettre l’oeuvre à la portée d’un public n’est pas rabaisser l’œuvre vers l’imbécillité, mais tenter de faire reculer les frontières de l’ignorance. L’imbécillité est équitablement partagée par tous, dans tous les milieux. En ce sens, elle est parfaitement démocratique : elle est aussi répandue chez l’enseignant abonné à un théâtre national que chez le jeune de banlieue ou l’agriculteur ou la femme immigrée analphabète. Cependant, il convient de se méfier des apparences : dans de nombreux cas, ce qu’on prendra trop facilement pour de l’imbécillité est souvent un défaut de savoir qui s’ignore ou qui a honte de lui-même. (Quand défaut de savoir il n’y a pas a priori, et que la prétention intellectuelle remplace la honte, l’imbécillité ne renferme alors rien d’autre qu’elle-même. Elle est, dans ce cas, sans espoir et ne concerne plus le service public.)
 
 
De la responsabilité de l’artiste face à l’argent public
Il est du devoir et de la responsabilité de l’artiste qui travaille dans le théâtre public, avec de l’argent public, d’ouvrir et de partager les codes de la représentation, du jeu, de l’écriture, d’autant plus que l’oeuvre est complexe, utilise un vocabulaire, des codes particuliers, non partagés par tous. Il ne s’agit pas de faire un théâtre facile, populiste, œuvre d’imbécile pour des imbéciles, mais un théâtre difficile, exigeant jusque dans sa transmission, jusque dans le questionnement de son rapport aux publics, à tous les publics. C’est long, difficile, parfois épuisant, cela nécessite une engagement total, humain, politique, artistique ; mais sinon, pourquoi et pour qui faire œuvre d’art vivant, si celui-ci ne s’adresse pas aux vivants, justement, mais à des salles mortes, à un public formaté et bien dressé dans l’auto-reconnaissance de ses propres codes, à des églises engoncées dans leurs rites, à coup d’esthétiques validées par l’Etat, d’œuvres truffées de références et se nourrissant d’elles-mêmes, à vide ?
Envisager le problème sous l’angle politique et économique est plus simple : l’argent public doit servir à rendre le théâtre public. Et ce n’est pas en faire une fille publique et le prostituer, c’est au contraire lui rendre sa grandeur et sa beauté, son utopie peut-être, que de le rendre à cette mission première.
 
 
Pour en finir avec l’art sacré
A condition d’être prêt à être bousculé, à découvrir et à partager d’autres codes, vocabulaires, cultures - il s’agit d’en finir aussi avec l’attitude du bon missionnaire pédagogue, partant évangéliser les peuplades sauvages et sous-cultivées des quartiers populaires -, il est possible de partager, ouvrir et expliquer tous les codes. Codes de mise en scène, d’écriture, d’interprétation, codes de la représentation. Ce n’est pas “sacré”, ni “secret”, même si cela nécessite parfois, de remonter loin. Une fois ce cheminement fait, chacun est en mesure d’apprécier, de porter un regard critique sur, de s’approprier une œuvre. Les artistes savent bien qu’en dénouant les fils de leur travail, ils seront forcément fragilisés, mis à nu. C’est pourquoi la plupart préfèrent jouer les coquettes mystérieuses, les vaches sacrées de l’art. Ils rechignent à partager avec les gens le processus de la fabrication de l’oeuvre, à leur offrir les outils qui leur permettront, peut-être, de discerner l’imposture, la posture et le juste, la matière, l’outil, la chair et l’apparat. Il est plus facile de dire Vous ne pouvez pas comprendre, c’est magique, mystérieux, ça me dépasse moi-même, que de se mettre ainsi en danger. Mais l’artiste devrait avoir un peu plus confiance en l’humain et en l’art. Car il y aura aussi toujours des parts de son travail qui ne sauront être expliquées, ni par lui, ni par quiconque, le propre de l’art étant de ne pouvoir se résumer à un concept ou à une formulation. Il y aura toujours dans la chose artistique des processus qui échappent, de l’ordre de la perception, de la sensation diffuse, de l’instinct, d’un long mûrissement dont l’artiste lui-même a perdu l’origine ; et également des choses qu’il est en droit absolu de garder pour lui, lié à l’intime, à de l’histoire enfouie, privée. L’artiste n’est pas un animal public, qui doit être livré en pâture sous prétexte de démocratisation. Mais il n’est pas non plus cette vache sacrée, gardienne d’un art bourgeois et qui isole son œuvre dans des églises élevées à son propre culte.
 
Je menais en banlieue un stage de sensibilisation au théâtre avec des élèves d’un lycée. Et le deuxième jour, je leur demandai d’inventer la mise en scène d’une pièce, d’imaginer comment il pourrait porter un texte à la scène, s’ils disposaient de tous les moyens imaginables, techniques, financiers, spatiaux, nécessaires à la réalisation de leurs désirs. Je leur avais exposé quelques bases de mise en scène, très succinctement, en leur répétant que c’était beaucoup moins compliqué qu’il n’y paraissait. Je ne voulais pas les effrayer, paralyser leurs capacités d’analyse et leurs imaginaires. Les professeurs présents étaient dubitatifs, pour ne pas dire plus. Or, ce qui est ressorti de ce travail était surprenant. Leur dire Vous avez le droit, la capacité, en leur donnant les règles de base, en leur ouvrant très grand le champ des possibles, avait donné confiance aux participants, leur avait permis de s’approprier très vite les codes, de s’en servir librement. Ils s’étaient ainsi emparés du vocabulaire scénique, l’avaient réinventé, adapté à des œuvres contemporaines qu’ils découvraient et devant lesquelles ils ne nourrissaient donc aucun a priori.
 
Car c’est bien de cela qu’il s’agit et non d’enseigner, d’apprendre : offrir à chacun la possibilité de dépasser les conventions, les blocages intimes ou sociaux, offrir à chacun les outils, les moyens de sa propre expression, afin qu’il trouve, ou retrouve, à travers l’espace fictionnel et symbolique de la scène, un espace de parole, artistique et humaine.
 
C’est sans doute pour ça que je préfère toujours échanger, travailler avec des gens “vierges” de théâtre. Une fois la première peur tombée de passer pour un imbécile, peur qui s’exprime généralement par des ricanements, un humour idiot, de la parodie facile, et parfois même de l’agressivité, peur le plus souvent due au mépris maintes fois essuyé à l’école, au travail, dans les administrations, une fois cette première barrière tombée, il y a une absence de références mal digérées, de fausse pudeur maniérée, une réelle soif d’apprendre, de dire, de se réapproprier une parole et un espace de parole, qui permettent aux imaginaires d’être bruts, ouverts, de se rencontrer et de dialoguer véritablement.
 
 
Sur les amateurs et les pratiques amateur
Je n’aime pas travailler avec des amateurs au sens strict du terme, c’est-à-dire des personnes qui aiment pratiquer le théâtre en loisir ou en simple divertissement. Je ne porte en cela aucun jugement sur les pratiques amateur, je dis simplement qu’elles ne m’intéressent pas sur un plan artistique. L’engagement de l’artiste sur la scène devant un public nécessite un engagement de vie, c’est-à-dire, aussi, littéralement, que sa vie en dépende. Que ce soit une question de vie ou de mort, disait Vitez. Sans cela, pas de nécessité vitale à être là, face au public, pas d’urgence et d’essentiel de la parole et du geste artistique. Le risque est grand, alors, de la complaisance, de la pratique narcissique, du cabotinage, du faire pour faire. (Ces risques existent intrinsèquement dans tout processus de représentation.)
Les non professionnels avec qui je travaille dans le cadre de certains ateliers de recherche ou de créations ne sont pas des amateurs. La plupart ne savent pas, au début de la rencontre, qu’ils aimeront cette aventure, encore moins qu’il peuvent aimer le théâtre. Ils ne le connaissent pas, souvent n’y ont jamais été et n’en ont jamais pratiqué. Ils viennent là le plus souvent par le biais de relais publics, de groupes pré-formés, d’associations ; pour beaucoup ce sont des publics captifs (groupes scolaires, stages d’intégration professionnelle, cours d’alphabétisation,…). Le plus souvent, ils commencent par dire : Je suis incapable. J’ai bien trop peur. Je ne sais pas me comporter en public. Je ne suis pas assez sûr de moi. Je n’y connais rien. A partir de là, tout le travail consiste à chercher ensemble, non pas à faire du théâtre, mais quelle nécessité de parole chacun et le groupe dans son entier portent, comment exprimer et faire résonner cette parole urgente, vitale, qui n’avait pas été exprimée jusque-là, dont la plupart n’avait souvent pas même conscience, qui se révèle et trouve son expression là, sur l’espace symbolique de la scène.
Je ne cesse de répéter aux participants qu’on ne devient pas comédien en quelques semaines ou quelques mois, qu’ils ne possèdent ni les outils techniques, ni la formation, ni l’expérience nécessaire, ni l’engagement essentiel, pour faire du théâtre, pour jouer, interpréter un rôle, une émotion, que s’ils le tentaient, ils ne feraient que singer des acteurs, jouer aux acteurs. Cela n’empêche pas, au contraire, qu’une part ludique, joyeuse, entre dans la réappropriation de l’imaginaire enfantin du jeu. Mais je leur demande avant tout d’être dans leur parole, dans la nécessité de leur parole, de penser seulement à porter cette parole, d’être fiers de raconter cette histoire à des gens, d’avoir envie de partager cela avec le monde entier, de s’oublier. Voilà. C’est ça : s’oublier. Oublier son image, pour ne penser qu’à ce qu’on dit et à qui on le dit. C’est la base de tout acte scénique.
 
Cette parole, intime, sociale, politique, humaine, la naissance de cette parole, sa (re-) découverte par celui qui la porte, le retour à cette urgence vitale de la parole scénique, nourrissent profondément ma recherche artistique. Ces temps de rencontres, de croisements, ces plongées dans le vivant et la parole brute, vibrante, me sont essentiels entre deux créations, en allers-retours constants. Je coltine, j’entrechoque mon univers artistique et mes processus de création, au monde brut, à la société, aux gens, au vivant ; je débarrasse mon univers artistique et mes processus de création de leurs falbalas, de leurs petites coquetteries référentes, je les sors de leur milieu codifié, fermé, pour mieux les nettoyer de tout ce qui n’est pas essentiel. Je ne fais pas en cela œuvre sociale. D’autres, dont c’est le métier et le rôle (animateurs, éducateurs, enseignants, encadrants), tireront de ce travail un outil social d’intégration, un outil thérapeutique, un outil d’éducation, ou autre. C’est pourquoi une collaboration étroite et un partenariat mûrement réfléchi et construit entre artistes et encadrants sont nécessaires à ce genre d’aventures, cela permettant d’éviter toute instrumentalisation de part et d’autre.
 
 
Un exemple d’atelier de création avec des non professionnels 
Atelier autour de la parole des femmes
avec l’association Femmes solidaires de Nanterre
Cet atelier s’est déroulé dans le cadre d’un projet que je mène autour de la parole des femmes en Ile-de-France. Nous avons construit des monologues autour de personnages de femmes ayant marqué leurs histoires familiales, lointaines ou récentes. Nous sommes passés par des improvisations sous forme d’interviews de ces personnages. Petit à petit, au fur et à mesure que la participante s’appropriait le personnage en répondant à nos questions et nous dévoilait son histoire, nous voyions le personnage naître sous nos yeux. J’enregistrais ces improvisations puis les retranscrivais. Nous retravaillions ces “portraits” comme nous l’aurions fait de monologues écrits, mais aucune, jusqu’à la dernière semaine, ne disposa d’un texte sur papier, ceci afin de ne pas contraindre les imaginaires. Pour la présentation publique, elles étaient libres de choisir leur manière de porter cette parole, soit par cœur, soit en lecture, soit en la ré-improvisant. Au cours de la représentation, le groupe peut intervenir à tout moment et relancer l’improvisation, afin d’aider ou d’orienter celle qui parle. L’important est que tout le monde “entende” ce qu’elles ont à dire. Ces paroles leur appartiennent entièrement. Ce n’est même pas une histoire construite, juste ce que nous avons voulu en faire dès le début : des paroles de femmes qui se répondent, à travers les âges et les cultures. Il ne faudrait pas que cela devienne autre chose, un spectacle par exemple, bien rodé, où chacune ferait “son numéro”. Ce qui a fait la beauté de ces représentations, c’était leur urgence, la force des paroles et des histoires qui y étaient portées. Ces femmes n’étant pas des comédiennes professionnelles, ce qui a fait la magie de ces instants, c’est qu’elles se sont jetées sur scène de toute leur âme, avec une innocence relative, sans souci de leur image, de leur représentation théâtrale.
 
 
De la différence entre enseignant et artiste intervenant
Et de ce qui en découle quant à l’absurdité du D.E.
(Diplôme d’Enseignement du Théâtre) et des règles de l’Unédic en ce domaine…
Au printemps 2005, le Synavi découvre avec surprise que le Diplôme d’Etat d’Enseignement du théâtre, créé par le décret du 3 janvier 2005, qui doit servir de référent général dans les conservatoires et autres structures publiques d’enseignement artistique, fait déjà l’objet d’une dérive, encouragée par certaines DRACs et collectivités territoriales, par une définition trop floue de son champ d’application, et par la désinformation, pour ne pas dire la méconnaissance crasse, de ce qu’est ou doit être un artiste intervenant.
 
Si ce diplôme peut, à la rigueur, s’adresser aux enseignants du théâtre, dans une volonté assez vaine, de légiférer cet enseignement dans le cadre d’une formation professionnelle ou spécialisée, il ne concerne pas les artistes intervenants. Ceux-ci interviennent en direction de groupes de personnes qui ne se destinent pas aux métiers artistiques, ni même, le plus souvent, à une pratique amateur régulière. On ne peut parler dans ce cas d’enseignement ou de formation, tout au plus de sensibilisation, de partage, d’éducation artistique. Celui qui intervient alors est (devrait être) un artiste ayant une pratique régulière de son art dans un cadre professionnel. (Il faudrait évoquer ici également les dégâts causés par des comédiens amateurs, intervenants auprès d’enfants dans les écoles maternelles ou primaires.)
 
Aussi absurde que l’élargissement du Diplôme d’Etat aux artistes intervenants, est la non prise en compte des heures d’intervention artistique ou d’atelier par les Assédics dans le calcul des fameuses 507 heures du régime d’assurance chômage des intermittents. La question n’est pas de renégocier le nombre d’heures de formation prises en compte à 50, 70 ou même 200 heures, mais de cesser de différencier les heures d’intervention artistique et les heures de plateau. L’artiste ne se transforme pas d’interprète en formateur ou animateur, il est et reste artiste avant tout. Et c’est bien en tant qu’artiste qu’on fait appel à lui et qu’il vient intervenir, au côté d’un enseignant, d’un éducateur, d’un animateur ou d’un formateur ou tout autre encadrant dont la présence et la collaboration sont ainsi absolument nécessaires. Ces heures d’intervention artistique sont ainsi étroitement liées à la création et la recherche artistique, et elles participent, nous l’avons vu, d’une démarche nécessaire, fondamentale du théâtre public, d’ouverture de l’œuvre aux publics. Elles devraient faire partie intégrante de tout contrat d’interprète engagé dans un théâtre public. Les tutelles et partenaires ne s’y trompent pas, qui exigent que les intervenants soient des artistes professionnels ayant une pratique régulière de leur art. La justice même a tranché, contre les Assédics, sur cette question, estimant que les heures effectuées par une compagnie de Haute-Normandie dans le cadre d’interventions en milieu scolaire, étaient liées à la création artistique et que ces heures effectuées avaient toute légitimité à être déclarées en tant qu’artistiques. Mais les tutelles et partenaires se gardent bien, le plus souvent, de prendre position devant les contrôles recrudescents et les attaques dont les compagnies et les intermittents sont victimes, validant ainsi tacitement cette absurdité de l’Unédic.
 
 
Quant à la formation professionnelle…
Pour enseigner du théâtre, il y a eu cette idée qu'il fallait un diplôme qui nous assurerait des professeurs de conservatoire formés et habilités. Et surtout formatés. Sans obligation, une fois le diplôme obtenu, de poursuivre une quelconque pratique artistique professionnelle. L’histoire de l’art, les techniques de bases, les outils, les codes, les cultures, peuvent s’enseigner. Force est de constater que l’expérience, l’expression, la créativité artistiques ne s’enseignent pas. Elles peuvent, au mieux, se partager. On peut tenter d’en expliquer certains processus, par où “ça passe”, comment on avance, et on avance souvent à tâtons, lentement, fragilement. Il n’existe pas en ce domaine de recettes exactes et applicables. Chaque artiste est unique, et c’est ce qui fait toute la valeur de son expression artistique. Chaque artiste en devenir doit pouvoir façonner ses propres outils, sa propre façon de faire, d’avancer, à partir de différents savoirs, acquis, expériences, lus, entendus, reçus, partagés. L’apport du pédagogue s’arrête là, sauf à vouloir formater l’expression et la création artistiques.
 
 
En conclusion provisoire et parcellaire
Il y a urgence et nécessité…
… à poser la fameuse question du problème de la diffusion autrement : non plus en terme de “ventes” (un comble pour une économie reposant sur de l’argent public que de réfléchir des critères en termes de rentabilité privée), de nombre de représentations, mais en terme d’accompagnement et d’ouverture de ces représentations auprès des publics ;
… à privilégier le lien étroit, interpénétrant, entre création artistique et populations, à le développer tout au long du processus de création, à travailler à remettre l’acte artistique au cœur de la Cité, à créer un lien intime, concret, entre les oeuvres et les publics ;
… à permettre la réappropriation par les populations de l’art et de son expression ; la possibilité d’échanges transversaux et de débats ouverts  entre les personnes, professionnels et non-professionnels, artistes et populations ;
... à réinventer une éducation populaire artistique, un accompagnement humain, ouvert, non pédagogique ou missionnaire ;
... à remettre les artistes et les populations au cœur du théâtre public, et à réarticuler les politiques culturelles et l’économie de l’art vivant autour de cette évidence oubliée.
 
Avril 2007
 
 
 
 
 
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